Écrit par Marion Rungette

« Nous concentrer sur l’essentiel pour apporter un maximum de valeur aux populations.»

Entretien avec Garance Wattez-Richard, CEO d’Axa EssentiALL et auteur du livre “Ne laissons pas tomber les classes moyennes”, paru dans la collection #NEWDEAL.  

Portrait de Garance Wattez-Richard

Après avoir œuvré plusieurs années dans l’assurance inclusive, Garance Wattez-Richard nous livre, à travers son dernier livre « Ne laissons pas tomber les classes moyennes », une analyse lucide et transparente de la situation des classes moyennes à travers le monde. Dans cet essai, elle propose des solutions concrètes capables de transformer le quotidien de ces populations trop souvent laissées pour compte. 

 

Qu’est-ce que l’assurance inclusive ? En quoi est-elle une bonne solution pour répondre aux défis auxquels sont confrontées les classes moyennes en matière de protection financière, tant dans les pays du Sud que du Nord ? 

 

L’assurance inclusive vise à protéger les personnes modestes, souvent mal ou non couvertes par les produits d’assurance traditionnels, en leur offrant des solutions abordables, adaptées et accessibles. Elle s’adresse aux classes moyennes vulnérables, particulièrement celles « trop pauvres pour être riches, trop riches pour être pauvres », tant dans les pays du Sud que du Nord. Cette approche permet de combler le vide entre les solutions de marché et les protections publiques en offrant une couverture adaptée à leurs besoins financiers et sociaux, favorisant ainsi à la fois leur résilience et leur ascension économique. AXA EssentiALL, l’activité d’assurance inclusive du Groupe AXA, opère ainsi comme une entreprise à fort impact social tout en étant rentable. 

Et puis le constat est simple : nous ne pourrons demeurer l’un des leaders mondiaux au xxie siècle qu’en trouvant de nouvelles façons de servir le marché mondial des personnes à revenus faibles ou moyens.

 

Dans votre ouvrage « Ne laissons pas tomber les classes moyennes ! », vous préconisez de répondre de manière plus adaptée aux besoins particuliers des classes moyennes. Quelles sont pour vous les solutions ? 

 

Nous avons construit, dans plus d’une vingtaine de pays émergents ou matures, des services et produits nouveaux pour améliorer la couverture de ces classes moyennes modestes. Le développement de cette activité est beaucoup plus récent en Europe, elle date du début d’année. En revanche nous la développons depuis plusieurs années dans les marchés émergeants et nous y protégeons aujourd’hui plus de 14 millions de clients grâce à quatre facteurs déterminants : proposer des produits 1) pertinents en se rendant proches du terrain et de la vie de tous les jours des personnes que l’on cherche à protéger, en comprenant à la fois leurs risques mais également les solutions – souvent informelles – qu’ils ont déjà mises en place pour y faire face. Être pertinents ce n’est pas toujours remplacer ces solutions informelles de gestion de risque mais les améliorer et les complémenter ; 2) abordables en innovant pour baisser les prix. Il ne s’agit pas ici de « low cost » mais de plutôt de « fair cost », construire les offres essentielles à un prix plus abordable ; 3) accessibles en créant de nouveaux circuits de distribution avec nos partenaires existants mais également de nouveaux partenaires comme les institutions de micro-finance ou les Postes ; et, enfin, 4) aspirationnels, au sens marketing du terme. Cela peut paraître un détail, mais j’ai notamment toujours refusé de parler de micro-assurance, car personne, surtout les plus vulnérables, ne souhaite acheter des produits au rabais, ou avoir l’impression de faire l’objet d’une quelconque forme de charité. 

 

Vous évoquez particulièrement l’enjeu des pays émergents. Quels sont les enjeux particuliers pour ces pays ? Comment les pays matures dits « développés » et émergeants dits « en développement » pourraient-ils apprendre les uns des autres pour concevoir des produits d’assurance plus pertinents et avantageux pour leurs classes moyennes modestes et/ou émergeantes ? 

 

 

Dans les pays du Sud, la situation de 3,5 à 4 milliards de personnes, que l’on pourrait appeler les classes « flottantes », ou « émergentes », davantage urbaines, jeunes, actives est très bien analysée par Jonathan Morduch, professeur à l’Université de New York, qui souligne 4 grands enjeux : 

L’instabilité : c’est-à-dire véritablement l’exposition aux risques et à l’aléa ;

L’illiquidité : le fait de ne pas pouvoir facilement mobiliser des fonds pour gérer une grande épreuve de la vie ou, et c’est un point qui les différencie beaucoup des populations plus riches, un imprévu du quotidien ;

L’irrégularité et l’imprévisibilité : le fait de ne pas disposer de revenus fixes et de ne pas pouvoir prévoir facilement les flux financiers futurs ;

Enfin, l’insuffisance : le fait de ne pas avoir tout simplement assez pour vivre.

Ces populations du Sud sont aujourd’hui très mal ou pas assurées. Et l’une des grandes différences avec les pays matures c’est qu’il faut véritablement y créer un marché, c’est-à-dire aussi faire de la pédagogie sur la valeur de l’assurance, là où le marché existe et est d’ailleurs très concurrentiel dans les pays du Nord. 

Je dirais que l’une des importantes sources d’apprentissage, ou même l’un des points communs le plus essentiel entre pays émergents et pays du Nord se trouve dans la nécessité de simplifier, de faire ce que l’on pourrait appeler de l’innovation frugale. Mais simplifier n’est pas facile justement. La corrélation entre simple et facile est même probablement proche de -1 ! Et c’est là le cœur de tout notre travail : nous concentrer sur l’essentiel pour apporter un maximum de valeur à ces populations. 

  

Vous parlez des vulnérabilités spécifiques aux femmes, qu’il s’agisse de l’inégalité économique ou des risques de violences domestiques. Selon vous, comment le secteur de l’assurance peut-il mieux répondre à ces besoins et soutenir les femmes face à ces défis ? 

 

Nous ne pouvons pas, réglementairement, concevoir des offres différenciées en termes de genre, mais notre responsabilité et notre capacité d’action restent néanmoins considérables pour mieux accompagner et protéger les femmes, modestes notamment, y compris face aux violences conjugales. Car nous pouvons à la fois répondre immédiatement aux situations d’urgences comme les violences domestiques, et contribuer sur le plus long terme à résoudre les inégalités structurelles. Articuler ces différents horizons de temps – la crise et le temps court, la prévention et la protection sur le temps long – sont une des singularités de l’assurance.  

Cette volonté de mieux prendre en compte la singularité des femmes dans notre industrie a déjà quelques années. L’opportunité de marché est en effet là : comme l’a évalué le rapport SheForShield, réalisé dès 2014 dans le cadre d’un partenariat mondial entre AXA, Accenture et la Société financière internationale (IFC), le secteur de l’assurance pourrait gagner entre 1450 et 1700 milliards de dollars sur le segment des femmes d’ici 2030, dont près de la moitié dans dix pays émergents, tout en protégeant beaucoup de femmes ET de ménages, les femmes étant la porte vers la protection, holistique de la famille. 

Mais il faut aller plus loin. Tout d’abord mieux répondre à leur vulnérabilité économique croissante en Europe. Le déclin des classes moyennes, et le risque de précarisation touchent certes l’ensemble de la société, mais cette vulnérabilité socio-économique est aussi genrée. Il faut, face à ce phénomène, concevoir des offres abordables, accessibles et attractives pour ces segments précis de la population féminine. Par exemple, nous développons des offres de mieux en mieux adaptées pour les micro-entrepreneuses mais aussi pour les familles monoparentales.  

En intégrant les logiques et besoins des femmes, en tant que femmes mais aussi en tant que preneuses de décisions, nous avons un rôle significatif à jouer pour accompagner leur participation dans l’économie et donc leur autonomie, mais aussi pour répondre à leurs besoins de protection, alors qu’elles restent exposées à de nombreuses vulnérabilités. L’enjeu est majeur tant en matière de droits des femmes que d’accès à une égalité réelle.

 

Ecoutez notre podcast réalisé avec Garance Wattez-Richard qui nous donne plus de précisions sur son livre. Ce podcast est produit par Havas Paris en collaboration avec les éditions Télémaque.
Cliquez ici pour l’écouter 👉Ne laissons pas tomber les classes moyennes